Par J.-M. Bichain, Olga Otero et toujours l’aimable participation de Maitre Bernard Pouyaud
Mardi 12 octobre, 13h45, l’Airaha appareille enfin et nous mettons le cap sur la baie de Triton. Après cette longue période d’inactivité et d’attente, le navire semble se réveiller soudainement, l’équipage s’agite aux quatre coins du navire pour les manœuvres de départ. Les coursives deviennent trop étroites pour tout ce petit monde qui s’agite frénétiquement. La salle des machines résonne de ce ronronnement déjà familier et les côtes encombrées d’une luxuriante végétation défilent lentement à bâbord. L’étrave qui claque à la surface des flots soulève des gerbes d’eau et file plein Est.
Quel soulagement. Le Bubati a remis à Jacques et à Laurent les permis de séjour tant attendus. Ces documents vont nous permettre de passer et/ou de séjourner dans de nombreux villages sans recommencer de nouvelles démarches administratives. Depuis l’ambassade d’Indonésie en France, en passant par Jakarta, Bogor, Sorong et enfin Kaimana, nous sommes désormais en règle avec les lois indonésiennes et l’expédition Lengguru-Kaimana peut déclarer très officiellement ‘Cap sur le massif de Lengguru !’.
Sans plus attendre l’équipe Muséum-CNRS, entre nous l’équipe des Gobies (cf. blog du lundi 11 octobre), embarque à bord d’une longue pirogue équipée de deux moteurs, ou long-boat, pour trois bonnes heures de navigation avant d’atteindre une de leurs zones d’étude. Départ à 13h00, sous un soleil de plomb. Nos équipiers se sont beurrés de crème solaire et recouverts de vêtements longs afin de se protéger des ardeurs cuisantes de ce soleil au plein zénith. Leur départ a été salué par toute l’équipe restée à bord. On sent très nettement un changement d’ambiance. La veille des grandes batailles certainement. Demain, une équipe de repérage va partir pour remonter, au plus haut, la rivière Lengguru. Idéalement jusqu’à l’endroit où les photos satellites montrent que cette rivière fait un passage sous terre sur trois kilomètres environ. D’autres équipes vont débarquer à proximité d’un grand lac qui est alimenté, entre autre, par une cascade. Les seules données biologiques concernant cette zone montrent, chez les poissons arc-en-ciel, deux centres distincts d’endémisme. En gros, des espèces différentes de poissons sont présentes dans les eaux d’altitude et du lac ! Pendant le reste du séjour, environ six jours, les équipes pénétreront de plus en plus dans les terres pour y effectuer un maximum d’échantillonnages faunistiques, géologiques, paléontologiques et archéologiques.
Profitons, si vous le voulez bien, de cette navigation de quelques heures pour continuer notre présentation des chercheurs et thématiques de l’expédition.
Sur le pont arrière Olga Otero, chercheuse à l’université de Poitiers, spécialiste des poissons fossiles, profite elle aussi de ce temps libre pour travailler sur son micro-ordinateur. Je me permets de l’interrompre un instant pour vous.
Chère Olga, De la paléontologie à Lengguru, quelle drôle d’idée !
En fait, la Papouasie est une des dernières (la dernière ?) terra incognita de la paléontologie ! En réalité, les fossiles marins sont déjà bien connus sur cette île qui paradoxalement a eu une longue histoire sous-marine, mais (presque) rien sur les animaux ou les végétaux qui ont habité cette île au cours de temps géologiques. Pour bien comprendre l’intérêt et le contexte des recherches sur cette île en général et dans le massif de Lengguru en particulier, il faut jeter un œil sur la carte des fonds océaniques (ou mieux, sur une carte géodynamique des mouvements des limites de plaques dans la région). La Papouasie est en bordure nord de la plaque continentale, coincée au niveau de sa bordure Nord et de son extrémité Ouest par un système complexe de plaques océaniques en subduction (reconnues par la présence de fosses océaniques sur la carte des fonds océaniques) et en décrochement. En gros, ces plaques océaniques plongent ou coulissent le long du dos et autour de la tête et du cou du corps de l’oiseau que dessine le contour de l’île papoue. La tectonique très active de cette région (des mouvements de l’ordre de la dizaine de cm par an le long de certaines failles) a contrôlé l’édification et l’évolution de l’île.
La zone de Lengguru correspond à un prisme d’accrétion (c’est l’ensemble des sédiments qui se retrouve coincé dans la zone de subduction et qui subit des plissements et des mouvements en bloc le long de failles) : les sédiments du prisme déposés sous la mer ont émergé. Les plus récents sédiments datent du Tertiaire (l’époque qui court depuis 65 Ma) ; ils sont carbonatés et constituent la roche dans laquelle le karst s’est creusé une fois la zone exondée. Ils reposent sur des séries plus anciennes, en particulier sur des séries crétacées (plus de 65Ma) qui affleurent au cœur de certains plis (anticlinaux). Evidemment toutes ces roches, déposées sous l’eau contiennent une riche faune marine fossile : comme par exemple des ammonites (des mollusques céphalopodes éteints qui ont disparu lors de la crise Crétacé/Tertiaire) dans les séries crétacés, et des récifs dans les séries tertiaires. Ils sont déjà connus, mais ils seront néanmoins collectés afin de constituer un fond de référence pour le Musée de Géologie d’Indonésie (localisé à Bandung, où l’ensemble du matériel collecté sera déposé).
L’émersion du massif constitue le début de l’histoire du « cou de l’oiseau ». Elle est datée du Miocène. A partir du Miocène (23Ma – 5Ma), il a donc eu la possibilité de peuplement par des organismes terrestres ou d’eau douce. Aujourd’hui, plusieurs animaux strictement continentaux sont présents dans la zone. Retrouver leurs fossiles nous permettra de raconter comment la région a été peuplée depuis son émersion. Nous allons donc les rechercher : mais où chercher les fossiles continentaux ? Ici, trois types de dépôts sédimentaires sont potentiellement riches en fossiles continentaux : 1) les remplissages des dépressions creusées dans le karst, 2) les sédiments qui se déposent le long des cours d’eau et à leur embouchure, 3) les sédiments qui se déposent dans les lacs développés sur des blocs basculés (le prisme est actuellement en train de s’effondrer).
Désolée de ne pas avoir des illustrations pour toutes ces explications un peu techniques, mais je ne doute pas que vous trouverez de très belles choses et de bonnes informations pour aller plus loin sur les points qui vous intéressent.
Finalement, si au moins 18 personnes disent avoir (néanmoins) apprécié cet article, je raconterai quels sont les fossiles que nous pourrions trouver au cours de nos pérégrinations, puis le résultat de nos investigations !!!!
Alors qu’Olga termine son docte exposé, nous suivons les côtes du Lengguru. Bon sang, l’équipe au grand complet est sur bâbord, à faire chavirer le navire. Faut avouer que le spectacle est saisissant. Une alternance de plages de sable blanc et de forêts denses. Les crêtes d’un vert sombre se découpent sur le ciel bleu profond et se reflètent dans les eaux bleues. Nous arrivons à Arawala, petit village de pêcheurs, 500 personnes, abrités au fond d’une crique.
Halte d’une demi-heure pour y faire le plein d’eau douce. Magnifique village entouré de reliefs escarpés surplombant des eaux limpides et recouverts d’une végétation explosive. Nous repartons vers 17h40, le soleil regagnant les terres mystérieuses du Lengguru alors que des milliers de roussettes (chauves-souris géantes) prennent leur envol. Extraordinaire spectacle.
L’Airaha pointe désormais au fond de la baie de Triton, il fait maintenant nuit noire. Vers 19h00, première vacation téléphonique avec l’équipe Gobie. Tout va bien, et je dirais même plus, ils sont déjà pied d’œuvre. Les premiers gobies et poissons arc-en-ciel ont déjà été repérés.
Vers 20h00 le navire traverse des eaux brunes et troubles, un air frais envahit le pont. Nous naviguons sur des eaux charriées par la rivière de Lengguru. Le ton est donné. Il ne s’agit pas d’un ruisselet mes amis, mais d’une rivière qui serpente à travers presque tout le massif de Lengguru. Enfin, l’Airaha finit par jeter l’ancre en face du village de Lobo par 3°46.53 Sud et 134°07.61 Est. Pour anecdote, Lobo fut la première implantation hollandaise en Nouvelle-Guinée au XVIIème siècle.
Quel jour sommes-nous ? La veille des grands jours !
Mercredi 12 octobre 2010
Bonjour,
Merci pour l’article D’olaga Otero, pour tous les détails de l’expédition et des photos magnifiques. Continuez.
Biz à vous toutes et tous.
Lauriana
Bonjour, (enfin bonsoir vu l’heure qu’il est chez vous)
Merci pour tous les détails de cette aventure passionnante, on a hâte de connaitre la suite.
En espérant que vous allez avoir les 18 personnes requises pour continuer les articles dans le détail!
Bon courage, on attend la suite.