Baie de Kayumerah

Lundi 25 octobre, baie de Kayumerah

Par Olga Otero, Jean-Christophe Avarre et Philippe Gaucher. olga_JC_Gaucher.jpg, oct. 2010 1. Les marches de Kayumerah

La cinquième journée dans la Zone Kayumerah-Mbuta touche à sa fin et les décomptes des kilomètres battus par nos semelles se font. Nos spécialistes de vertébrés non aquatiques, Christophe et Philippe en sont à 70 km. Pour ma part, je compte : 20+20+10+20+… 3 seulement aujourd’hui. S’y ajoutent les kilomètres avalés à mobylette, sur la piste pierreuse. J’avoue avoir fermé les yeux dans quelques descentes et temporairement négligé de contrôler la gueule des affleurements sur ces tronçons. Néanmoins, la mobylette est un luxe qui permet de travailler plus longtemps sur un site une fois qu’il est identifié. Pour ces trois derniers jours nous laissons tous refroidir les semelles, et comme tous, je privilégie les sites de proximité. Ils seront visités depuis le bateau pour certains d’entre nous où depuis un camp basé à moins d’une heure de la côte en vue de l’exploration de la résurgence du lac Mbuta (plus de 30m3 de débit me dit Bernard). Jean-Michel fait partie des campeurs. Il en a profité pour me refiler la main sur le blog avant l’heure dite, puisqu’il quitte l’Airaha et l’expédition à la rotation du 28 octobre. Ce soir, Jean-Christophe s’est proposé de raconter notre expé de l’autre côté de la montagne autour du Lac Mbuta ces trois derniers jours, Philippe G. nous fait part de ses impressions de fin de mission : une analyse comparée entre la forêt guyanaise et celle qu’il a découverte ici, enfin Budiman revient sur l’archéologie de la baie de Triton avec un assemblage de Lomira. J’en profite pour leur laisser la parole et garder des cartouches d’histoire pour les jours prochains !

Nb : Nathalie, oui je suis la seule femme française de l’expé. Et c’est bien l’une des deux autres femmes, indonésiennes, que tu as entraperçue sur la photo «mystère».

DEPECHE – DEPECHE – DEPECHE… Découverte d’un nouveau crustacé

L’équipe a découvert sur une rivière issue d’une très grosse résurgence du massif un nouveau crustacé dont les plus proches parents sont connus notamment de Nouvelle-Calédonie. Une découverte très intéressante pour tous ceux qui s’intéressent à la biogéographie de la région et aux processus de dispersion animale !

2. Le mini-marathon de Mbuta

Par Jean-Christophe Avarre JC.jpg, oct. 2010 Le village d’Avona où notre bateau mouille se situe au départ d’une piste qui mène au lac Mbuta, en croisant plusieurs rivières, supposées contenir des espèces de poissons non-encore décrites. L’existence d’une telle piste s’explique par la présence passée mais récente d’une scierie qui exploitait la forêt primaire. Celle-ci a quitté les lieux à partir du moment où les taxes imposées par le gouvernement indonésien sont devenues trop élevées. Fort heureusement, car la forêt primaire a particulièrement souffert sur quelques dizaines de km autour du village. Il y a 7 ans encore, la piste, jalonnée d’habitations et de garages, était parcourue par de nombreux camions redescendant le bois. Aujourd’hui, il est à la fois surprenant et rassurant de constater qu’il n’en reste quasiment plus aucune trace, preuve s’il en faut que la nature reprend rapidement ses droits. Au village, il n’y a plus aucun véhicule, mis à part les quelques mobylettes apportées par les nombreux javanais qui travaillent ici.

Tous les scientifiques du bateau sont donc partis à l’assaut de la piste en quête de poissons, de chauve-souris, d’oiseaux, d’insectes, de crustacés, de phytoplancton, de fossiles, de peintures rupestres ou encore d’indications sur le fonctionnement du réseau karstique de cette zone. Equipés de sacs légers, les plus valeureux sont allés repérer les rivières jusqu’au point kilométrique (pk) 10, où les premières observations, prometteuses, laissaient présager un retour avec un équipement plus adapté dès le lendemain matin. La journée s’est ainsi soldée pour la plupart d’entre nous par 20 km de marche sous une chaleur torride. Il faut savoir que la majeure partie de la piste est exposée au soleil, et que la température moyenne est de 34°C (à l’ombre) avec un taux d’humidité flirtant en permanence avec les 100%. Du reste, la fin de la marche s’est terminée pour beaucoup sous un violent orage. Après le diner, la soirée a été consacrée aux préparatifs pour les expéditions du lendemain.

Nous sommes donc presque tous partis le lendemain matin, pour des expéditions plus ou moins longues et sur des sites différents. Les premiers sont partis vers 5h et les derniers vers 8h. Les collègues raconteront surement leur périple et leurs découvertes. En ce qui me concerne, je vais essayer de décrire succinctement l’expédition sur le lac Mbuta.

Nous sommes donc partis en direction du lac Mbuta avec Marc, Laurent, Olga, Amos, Lucas et deux guides locaux (un de la tribu d’Avona, et un autre d’une tribu située à environ 100 km dans les terres). Bernard et Jean nous ont rejoints vers 14h. Le lac se localise à environ 20 km d’Avona (17 km par la piste, et 3 km en forêt), après 700 m de dénivelé et le passage d’un col à 320 m. Il nous a fallu plus de 4h, avec une longue halte au bord d’une rivière où les collègues ichtyologues étaient déjà en train de pécher de nouvelles espèces de gobies, pour atteindre la dernière rivière avant le lac (pk17 environ). Bien sûr, pour les gens qui font un peu de montagne, cela ressemblerait plutôt à une petite promenade. Mais si on ajoute les sacs de 15 kg sur le dos (entre le matériel pour camper et le matériel scientifique, ça finit par peser) et la chaleur qui régnait, cela devient de suite un peu plus physique. Juste après la rivière, Pour camp de base, nous avons choisi une petite baraque en bois située juste après la rivière, dernier vestige encore debout du temps de l’exploitation forestière. En chemin, Lucas, un de nos accompagnateurs papous, avait chassé un kangourou; nous avons donc eu droit à un bon repas vers le milieu de l’après-midi, qui a fait office de déjeuner et de diner. Le lendemain, nous sommes partis échantillonner sur le lac Mbuta. En chemin, nous avons rencontré deux cerfs, un kangourou et un varan. Aucun d’eux n’a cependant succombé à la lance ni au coupe-coupe d’un de nos accompagnateurs papous, pourtant à l’affût… J’ai prélevé environ 6 litres d’eau depuis le bord du lac, tandis que Laurent et Amos pêchaient des poissons arc en ciel depuis le bord également, car le lac est réputé comme très fréquenté par les crocodiles. Après 3 km et 1h de marche en forêt avec l’eau sur le dos, nous sommes revenus à la cabane, où nous avons traité les échantillons: Laurent prenait des photos des poissons pêchés et leur prélevait un morceau de nageoire dorsale, tandis que Marc et moi filtrions et fixions l’eau pour les futures analyses de phytoplancton. Le soir, Laurent et Lucas sont allés pêcher d’autres poissons arc-en-ciel dans la rivière à côté de la cabane, d’une espèce différente de celle pêchée dans le lac plus tôt dans la journée.

Le lendemain matin, le réveil fut encore plus laborieux, non-seulement pour nous mais également pour nos 4 accompagnateurs papous. guides_papous.JPG, oct. 2010 Nous avons décollé de la cabane à 9h30 pour partir à la recherche de l’endroit où la rivière disparait sous le karst. Nous sommes donc repartis avec tout notre barda, que nous avons laissé après 30 min de marche sur la piste pour pénétrer dans la forêt. Nos guides, équipés de leur lance (à l’affût de gibier) et de leur coupe-coupe, nous ont tracé la route. Nous avons croisé un casoar en chemin, mais celui-ci ne nous a pas laissés le temps de le photographier, ayant probablement senti le fer des lances papoues… Au bout d’une bonne heure de marche, nous sommes parvenus au point de convergence entre le lac Mbuta et la rivière du même nom. Au dire des papous, le lac se mélange à la rivière en période de crue (comme c’était le cas), et l’eau disparaît sous terre. Après avoir longé le lac, il s’est avéré que l’eau ne s’écoule pas sous le karst en un point unique mais par une multitude de petites « entailles ». Le fonctionnement de l’écoulement des eaux ayant été percé, nous avons récupéré nos gros sacs laissés au bord de la piste et sommes redescendus vers le village, chacun à son rythme. En ajoutant les marches nocturnes, la distance parcourue pendant ces 4 derniers jours atteint presque les 80 km pour ce qui nous concerne. Alors pourquoi tant d’efforts et d’ampoules pour quelques poissons et un peu de phytoplancton? Pour les poissons, je laisserai le soin à Laurent de répondre. Le phytoplancton, quant à lui, donne une indication sur la « qualité biologique » de l’eau. En effet, ce dernier est à la base de la chaine trophique, et sa composition et sa quantité reflètent le niveau d’eutrophisation d’une eau, c’est-à-dire sa disponibilité en nutriments. En plus des paramètres physiques de l’eau comme le pH, la température ou la quantité d’oxygène dissous, la mesure de l’abondance et de la composition du phytoplancton contribuera à la description de l’habitat et à la compréhension de la répartition des espèces de poissons arc-en-ciel peuplant les différentes eaux échantillonnées. lac_mbuta.JPG, oct. 2010

3. Impression d’un naturaliste de Guyane

Par Philippe Gaucher Gaucher.jpg, oct. 2010 Comparé à la forêt guyanaise, le dépaysement est total !

Tout d’abord, la forêt est plus basse donc le sous bois est bien éclairé avec des morphologies de plantes bien différentes notamment dominées par les pandanacées évoquant les plants d’ananas érigés au statut d’arbre ! La profusion d‘orchidées et de plantes épiphytes est incroyable.

L’autre différence est l’omniprésence de roche calcaire qui parfois affleure, parfois s’érige en hautes falaises. Falaises en partie colonisées par une végétation grimpante, voire par des arbres dont les racines s’incrustent dans les fissures.

L’autre phénomène très surprenant pour moi est la quantité de plantes et en particulier d’arbres qui sont en fruits ou en fleurs! On comprend mieux la présence des énormes populations de grandes chauves souris frugivores et nectarivores.

Concernant la faune, l’univers sonore dispensé par les oiseaux est là encore différent bien que l’on puisse faire des parallèles avec l’avifaune guyanaise. A côté de chants totalement inconnu il me semblait reconnaître soit un tinamou, soit un troglodyte musicien ! Comme toujours en forêt tropicale, l’observation des oiseaux est malaisée néanmoins quelques espèces remarquables sont facilement visibles. Par exemple, le calao dont la taille et le son des battements d’ailes caractéristiques lui a valu le joli sobriquet de B52 par nos collègues karsteux !!

En mammifères, il faut noter l’absence de singes à l’exception d’une malheureuse introduction récente de macaques pour l’instant peu étendue ! Les observations ont été encore plus rares : deux cerfs (également introduits), deux rongeurs, un kangourou terrestre, un kangourou arboricole endormi sur arbre défeuillé. Heureusement, l’abondance de chauves-souris a largement compensé ma frustration avec des animaux évidemment très différents de ceux que j’ai l’habitude de voir. Et la vision d’un dortoir de plusieurs centaines de renards volants de plus d’un mètre d’envergure volant autour d’un îlot boisé perdu en mer reste une vision extraordinaire !

En herpétologie, c’est un paradis ! De jour, de très nombreux scinques courent sur le sol, certains sont arboricoles, d’un vert particulièrement brillant. Les varans ne sont pas rares et relativement peu farouches. La nuit, les geckos sont omniprésents, souvent à plusieurs espèces et plusieurs individus sur les gros arbres. Les serpents ne sont pas rares (mais pas toujours faciles à identifier !) et j’ai eu la chance d’observer à deux reprises le fameux serpent blanc endémique de Nouvelle Guinée et de triste réputation en raison de la toxicité de son venin.

Les grenouilles sont facilement observables et souvent chanteuses. La diversité spécifique est énorme avec, à l’heure actuelle, 322 espèces auxquelles s’ajoutent toutes celles qui restent à découvrir ! Le problème est certainement le peu de différence morphologique permettant une identification aisée. Leur biologie est quasi inconnue.

Concernant les insectes, il m’a semblé que la diversité en papillons diurnes était également supérieure à celle de la Guyane. En conclusion, cette île est ce que j’ai vu de plus attractif en matière de beauté paysagère et de biodiversité tropicale et constitue un terrain sur lequel j’aimerais revenir le plus vite possible.

4. Recherches archéologiques dans les villages Kamaka et Lumira (Warika)

Par Budiman, Erik Gonthier, Erlin budi_eric_erlin.jpg, oct. 2010

Kamaka borde la baie de Triton. Dans cet important et tranquille village nous avons tenté d’entreprendre des recherches archéologiques et anthropologiques notamment grâce aux témoignages et à la présence d’un clan ancien : Kamakaula. Les recherches scientifiques franco-indonésiennes ont voulu s’appuyer sur cette enquête ethnographique pour rechercher la présence d’art pariétal et d’indices archéologiques. Ces échanges n’ont malheureusement pas abouti à de bons résultats.

Toujours avec le zodiak de la mission Kaïmana-Lengguru, nous nous sommes dirigés dans le village de Lumira (Warika) situé dans le district de Kaïmana-Ouest Papua (coordonnées : S 03°46’42 .0 ‘’ ; E 134°10’ 13,6’’). La plupart des maisons villageoises sont occupées de manière semi-permanente par une ou deux familles. L’enquête ethnographique menée à l’identique comme celle de Lumira, n’a pas révélée grand-chose. En revanche les habitants se sont montrés plus coopératifs et plus ouverts à nos approches.

C’est en prospectant à pieds aux abords du village que nous avons pu trouver quelques objets archéologiques. C’est en fouillant des dépotoirs perdus dans la végétation proche (bananeraies) et situés en amont du village, et dans des rejets domestiques récents (plastiques, piles, assiettes, etc.), que sont apparues des séries représentatives de mollusques de consommation courante (Gastropodes, Pelycipodes), et surtout une herminette de pierre taillée et polie dans une roche schisteuse. poubelle.jpg, oct. 2010 Fig. Dépotoir contenant des mollusques. Village de Lumira (10/2010).

Cette herminette, polie dans une roche métamorphique, a une patine noire sur la totalité de ses surfaces qui masque sa véritable identification. Ses faces sont marquées par des stigmates caractéristiques plus récents qui montrent sa réutilisation non plus en tant qu’herminette, mais en tant que pierre à aiguiser pour des lames métalliques (traces surfaciques obliques parallèles très marquées). La perte de cet outil par son ancien propriétaire est une aubaine pour l’équipe, car elle nous renseigne sur une typologie lithique, qui aujourd’hui bien que disparue, reste caractéristique pour la région (section quadrangulaire, avec partie proximale dans le prolongement de la forme de l’outil et fixation jusque dans la partie mésiale de la lame). Ce type d’herminette avait déjà été rencontré en 1984 par Erik dans la région d’Eranotali. Une des caractéristiques de cette lame tient à ses découpes latérales légèrement cintrées et planes, alors que les partie avers (extrados) et revers (intrados) sont légèrement bombées. Le tranchant, bien qu’abimé, laisse entrevoir la forme originale de l’outil.

herminette.jpg, oct. 2010 Fig Herminette de pierre polie. Village de Lumira.

Parmi les mollusques rapportés (Conus, Archaeidae, Veneridae), certaines coquilles avaient été volontairement fragmentées par percussion directe pour réaliser des outils pour couper, gratter ou piquer. Cela montre une continuité dans les usages alimentaires à partir des produits de la pêche à l’instar de ceux de la période pré-Néolithique. Ces mollusques, qui sont toujours abondamment consommés par les villageois actuels, ne sont plus employés dans la fabrication d’outils.

Des fragments de céramiques comportant une assez grande quantité de sable de quartz, ont été découverts le long de la plage principale du village de Lumira, au-dessus de la source d’eau douce se jetant dans la baie. Ils correspondent aux parties latérales et à certains cols de poteries rondes et apparemment sans anse. La surface de cette dizaine de fragments est de couleur généralement noire à brun-rouge, généralement sans décoration. Un échantillon présente un petit décor par application d’un matériau cylindrique sur l’épaisseur de l’argile.

Malheureusement peu d’informations sur l’archéologie locale a pu être recueilli du fait que les villageois actuels ne connaissent pas l’histoire du passé local de la région. Toutes les informations recueillies ne proviennent que de nos propres hypothèses à partir des quelques objets retrouvés (herminette, céramiques, coquilles). La cohabitation des rejets domestiques solides anciens avec d’autres plus modernes, n’appartiennent pas à des stratigraphies bien déterminantes. Du côté des anciennes traditions, du fait d’une rupture drastique dans le déroulement historique des événements, des modifications comportementales ont été radicales : délaissement de l’usage des outils de pierre ou de coquillage; amnésie sur les traditions verbales (mythes et légendes) ; abandon des métiers de l’artisanat comme la poterie, la vannerie et la fabrication de tapahs (fibres végétales battues) ; modification totale des rituels de passage au profit des pratiques religieuses modernes… Il est certain que les populations locales se sont adaptées très vite aux nécessités de la civilisation de grande consommation du plastique, du verre, de la boîte de conserve, de la radio et de la télévision…, et ce, en moins de 30 ans.

8 réflexions au sujet de « Baie de Kayumerah »

  1. Bonjour à tous,

    La nouvelle d’un séisme assez violent du côté de Sumatra ainsi que l’entrée en éruption du Merapi vient d’arriver jusqu’à nous. Comment ca se passe de votre côté ? Aucun problème particulier à signaler ?

    Des bises à tous

    Clémentine

  2. Bonjour à tous,

    Même inquiétude. Est-ce que vous avez été touché par le tsunami ? Je sais que lundi un groupe devait partir en forêt (cf message de Christophe). J’espère que vous allez tous bien et que la vague ne soit pas arrivée jusqu’à vous.
    Donnez vite de vos nouvelles
    Bises

  3. Je pense que d’une part ils sont très très loin, à peut-être 2 500 Kms et d’autre part, un ensemble d’îles les protège de ce tsunami.

    Je pense que vous pouvez vous rassurer en regardant les cartes

  4. Après de nouvelles recherches, ils sont à environ 3 500 Km et le tsunami a ravagé des îles à l’ouest de Sumatra.
    Entre le tsunami et eux , il y a donc Sumatra, Java et de nombreuses autres terres

  5. Merci Frédéric! Nous sommes un peu rassurés! En espérant qu’il y ait des nouvelles demain… Maruja

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