Rotation de mi-mission, Kaimana (jeudi 28 octobre)

Par Olga Otero olga.jpg, oct. 2010 Journée un peu bizarre, le petit creux de mi parcours.

Dans la rade de Kaimana nous avons laissé 13 de nos collègues prendre le chemin de leur maison (Intan, Jean-Michel, Sigit, Erik, Giyanto, Jean-Christophe, Sawung, Ruby, les « gobies » Philippe K et Philippe G., Christophe, Fabian et Sinung) et avons récupéré 5 nouveaux collègues. Le départ a été joyeux et même si le bateau semble un peu vide, pas le droit d’avoir le coup de mou, il nous faut accueillir et intégrer au plus vite les nouveaux arrivants. Une bonne façon, c’est la photo pour le trombi avec le contact, la spécialité et l’institution. Une sorte d’intégration symbolique. Dès ce soir, sur le bateau, sur le papier et sur la toile, ils sont membres de l’expé. 1_trombi_nouveaux.jpg, oct. 2010 Les discussions par thématique vont bon train. Pour ma part j’ai discuté une bonne heure avec les deux collègues géologue et paléontologue. Nous avons fait le point, carte à l’appui, sur ce qui a déjà été fait. J’ai essayé de leur brosser les possibilités (et les difficultés) du terrain et je leur ai présenté la zone sur laquelle nous allons. Le plus compliqué, c’est probablement de faire comprendre comment nous fonctionnons : par groupes d’affinité thématique ou plutôt « géomorphologique », qui se font et se défont suivant les objectifs fixés et surtout suivant leur évolution sous la contrainte de la réalité du terrain.

Sinon, pour beaucoup cette journée est un peu particulière car pour la première fois depuis plusieurs semaines « ça passe ». Nos téléphones portables vibrent dans tous les sens (surtout ceux des indonésiens, coût des connections internationales obligent !!!). On découvre des sonorités inconnues. Mais surtout, comme c’est bon d’entendre la voix des êtres chers pendant quelques précieuses minutes…

Mais tout ça ne meuble pas la journée. Ce matin, nous avons essayé de faire un peu de rangement voire de ménage dans les petits espaces collectifs ! certains essayent de récupérer un couchage qu’ils considèrent meilleur que le leur. Le compte rendu sur certains espaces libérés nous a valu de franches rigolades, mais je ne dirai rien de plus là dessus. Des petits groupes sont allés au port, histoire de se balader au marché et goûter des spécialités locales, ou encore pour vider la boite mail au Warnet afin d’amoindrir la douleur de cette tâche au retour. Enfin, pour les super logisticiens : Jacques, Sumantha, Kadar, aidé de Gigit et Napoléon, ce sont les courses pour le ré-achalandages en vivre, matériel et combustible, mais aussi, la ronde des services administratifs pour que toutes les autorisations soient en ordre pour les nouveaux arrivants. Enfin, cette journée off du terrain, c’est un peu comme une trêve avant de nouveaux terrains. On revise sa tenue et éventuellement on raccommode notre attirail 2_petits_travaux_du_quotidi.jpg, oct. 2010 Au fait, Philippe G. ne m’a pas laissé de texte sur le versant naturaliste de l’exploration de la grotte Tanjung Boy. J’espère bien qu’il me l’enverra pour une mise en ligne un fois posé. En attendant nos nouvelles aventures sur le terrain, je vous propose donc de continuer avec les réflexions de Christophe sur les raisons qui le font se passionner pour les oiseaux de la région et qui présente sur des exemples les questions qui nourrissent notre intérêt de scientifique pour cette région de Nouvelle Guinée.

Olga Otero, dans la baie de Kaimana où nous attendons le sésame qui nous autorisera à sortir du port et voguer vers nos terrains.

Pourquoi étudier les oiseaux de Nouvelle-Guinée ?

3_perroquet.jpg, oct. 2010 Par Christophe Thébaud christophe-thebaut.jpg, oct. 2010 La Nouvelle-Guinée est souvent présentée comme une des dernières terra incognita pour la biodiversité. Si cela est indiscutable pour la plupart des groupes taxinomiques, ce n’est clairement pas le cas pour les oiseaux, l’un des groupes les mieux étudiés, dont il n’a été décrit que deux nouvelles espèces au cours des derniers 50 ans. On peut donc considérer aujourd’hui que la liste des espèces pour la Nouvelle-Guinée comme quasi-définitive avec un peu plus de 800 espèces dont environ 320 sont uniques à la région et n’existent nulle part ailleurs. Parmi celles-ci figurent des oiseaux qui frappent l’imagination des ornithologues depuis qu’ils furent découverts par les premières expéditions naturalistes : les oiseaux de paradis (une 20aine d’espèces), les oiseaux à berceaux (7 espèces en Nouvelle-Guinée plus quelques espèces dans le nord de l’Australie), les casoars (3 espèces), les perroquets et les pigeons (avec chacun une 20aine d’espèces endémiques). On sait depuis longtemps (en fait depuis qu’Alfred Wallace, le co-découvreur avec Charles Darwin de la théorie de l’évolution par la voie de la sélection naturelle, en a fait l’observation) que la faune des oiseaux présente peu d’affinités avec celle de l’Asie et de l’Indonésie, pourtant très proches de la Nouvelle-Guinée, et une plus grande parenté avec celle du continent australien. Cette discontinuité existe chez de nombreux autres groupes (mais pas chez les plantes qui sont d’origine asiatique dans leur immense majorité) mais c’est chez les oiseaux qu’elle est la mieux documentée.

Alors, que reste-t-il à étudier chez les oiseaux de Nouvelle-Guinée ?

En fait, à peu près tout, car aujourd’hui on ne sait pas grand-chose sur la distribution géographique des espèces à l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, presque rien sur l’écologie des espèces, rien du tout sur les interactions entre les oiseaux et les plantes qui les nourrissent (de très nombreuses espèces se nourrissent ici de nectar de fleurs ou de fruits charnus qui sont produits en grande abondance dans les forêts). De grands ornithologues comme Ernst Mayr et Jared Diamond ont largement contribué à l’amélioration des connaissances sur les oiseaux de la Nouvelle-Guinée au cours du dernier siècle. Ernst Mayr a même assemblé à lui seul la plus grande collection muséologique de ces oiseaux, aujourd’hui conservée au Muséum d’Histoire Naturelle de New York. Le travail de fourmi qu’il a dû accomplir pour établir la taxinomie des oiseaux de Nouvelle-Guinée l’a même amené à définir le concept biologique de l’espèce et à formuler le sacro-saint modèle de la spéciation allopatrique (qui pose qu’une période d’isolement géographique est nécessaire pour que se forment deux espèces-sœurs qui descendent d’une même espèce ancestrale). Si cela est facilement compréhensible quand on observe les nombreuses espèces apparentées qui vivent sur des îles différentes ou des montagnes isolées les unes des autres, certaines situations interpellent et suscitent de nouveaux questionnements. Par exemple, de nombreux oiseaux des forêts de basse altitude présentent une distribution géographique très large et peut être continue à travers tout le pourtour de la Nouvelle-Guinée ; mais lorsqu’on compare les oiseaux d’une région à l’autre on observe des variations géographiques de la morphologie et de la coloration qui sont pour le moins troublantes et dont on se demande bien pourquoi le taxinomiste ne les a pas élevées au rang d’espèce. L’explication, plutôt une hypothèse, pour cette frilosité taxinomique est due à Ernst Mayr lui-même qui a toujours pensé que si l’on obtenait des informations sur les oiseaux km par km à travers la Nouvelle-Guinée, le passage d’une ‘forme’ à l’autre semblerait graduel, progressif. Il semble en fait que cela ne soit pas le cas et qu’il existe une quantité de ‘formes’ qui occupent des territoires différents mais contigus et que l’on passe de l’une à l’autre de manière très abrupte, en quelques km seulement. Comment cela est-il possible ?

Une hypothèse est que les différentes ‘formes’ géographiques qui sont toutes issues d’une même espèce ancestrale se sont retrouvées isolées géographiquement les unes des autres à un certain moment de leur histoire, qu’elles ont évolué indépendamment les unes des autres pendant un certain temps et que les aléas géologiques ou de la dispersion des organismes les ont remises au contact les unes des autres alors qu’elles ne sont pas encore totalement reproductivement isolées les unes des autres ; en d’autres termes, elles peuvent encore se croiser, mais les traces de l’hybridation ne sont visibles que dans des zones très étroites car les individus hybrides sont contre-selectionnés, moins aptes a survivre et à se reproduire que les individus de type ‘parentaux’. Tout cela ne fait pas très propre quand on pense à la définition biologique de l’espèce chère à Ernst Mayr selon laquelle ne sont de bonnes espèces que les ensembles d’individus qui sont reproductivement ‘isolés’.

Pourtant ces espèces qui forment des zones hybrides fournissent des occasions uniques de comprendre les rôles de la géographie et de l’écologie dans la différenciation des populations et la formation des espèces et d’appréhender les mécanismes génétiques qui sous-tendent les différences entre espèces et qui comptent dans l’évolution de l’isolement reproducteur (car ces espèces ou sous-espèces qui s’hybrident dans des zones très restreintes sont bel et bien reproductivement isolées les unes des autres sinon elles fusionneraient en une seule et unique entité biologique). Parmi les oiseaux de Nouvelle-Guinée qui présentent des cas possibles de zones hybrides, figure un groupe emblématique, celui des Pigeons couronnés (genre Goura avec 3 espèces).

L’expédition Kaimana-Lengguru aura été une formidable occasion de vérifier que cela est bien le cas : à quelques kilomètres de la limite ouest de l’espèce du Sud de la Nouvelle-Guinée, on trouve des oiseaux de l’espèce de l’Ouest qui ne présentent aucune trace d’hybridité, au moins du point de vue de leur coloration. Les deux espèces ont donc bien des distributions jointives mais pas chevauchantes et la zone hybride doit être formidablement étroite (mais qu’est-ce qui peut bien causer les moindres performances des hybrides en termes de survie et de reproduction ?). Le début d’un programme de recherche ? Je l’espère !

La Nouvelle-Guinée est vue comme une terre d’exception en matières de découverte de nouvelles espèces, mais elle n’est pas que cela pour les naturalistes ; c’est avant tout un formidable terreau pour mettre à l’épreuve des hypothèses sur l’évolution de la biodiversité, pour mieux comprendre l’hyperbiodiversité d’une région tropicale qui a joué un grand rôle dans l’émergence d’une pensée évolutionniste moderne mais a été depuis longtemps délaissée par les chercheurs (pour des raisons indépendantes de la science); aujourd’hui le vent tourne et la période est vraiment propice à un redémarrage de ces activités.

Christophe Thébaud

Une réflexion au sujet de « Rotation de mi-mission, Kaimana (jeudi 28 octobre) »

  1. Bien arrivés sur Jakarta. Bonne chance à toute l’équipe et aux nouveaux arrivants pour la suite de la mission.
    Philippe G. ne tardera pas à envoyer son billet, il me doit déjà Ecology of Papua TI&II.
    Merci à domenico pour son somptueux acceuil par procuration, souper et petit déjeuner gargantuesques, nous avons laissé quelques grafittis en guise de remerciements sur les murs de son salon.
    Eric vient de se retourner un ongle. Pour info, qui a squatté ma couchette ? et Philippe G refuse de céder sa tente.

    les zouzous

    PS_ Gilles tiens bon, les karteux ne t’auront pas !

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