Cap sur Kaimana

Par Jean-Michel Bichain, précisions ornithologiques de Christophe Thébaud, texte relu et corrigé par Bernard Pouyaud.

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Jean-Michel Bichain, Christophe Thébaud et Bernard Pouyaud

Si vous lisez cet article, alors vous assistez à un petit miracle de technologie. En effet, je poste aujourd’hui cette chronique –via le système Inmarsat BGAN- à bord de l’Airaha II qui file bon train ses 12 nœuds (environ 20 kms/h) au large de la côte Ouest de la Papouasie occidentale dans l’archipel Raja Ampat, les quatre rois en Indonésien. Cet archipel est composé d’une centaine d’îles dont les quatre principales -Missol, Salawati, Batata et Waigeo- ont inspiré le nom de l’archipel, les fameux quatre rois. Vers 11h42, ce samedi 9 octobre nous naviguons dans la mer de Missol, par 2°02.200 Sud et 131°03.550 Est, entre l’île éponyme et Salawati.

Le temps est particulièrement clément avec un ciel d’un bleu profond clairsemé de nuages bienveillants et une mer d’huile berçant paisiblement le navire.

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Nous avons appareillé hier au soir à 21h05 très exactement, après une journée bien chargée pour les braves, qui liste en main, affrontèrent gaillardement le marché populaire de Sorong afin de compléter notre régime alimentaire. Vous parlez d’une liste de courses comprenant pas moins de 600 kg de riz, 40 kg de pâtes, 10 kg de gingembre, 20 kg oignons, 15 kg de corned-beef, 4000 litres d’eau en bombonne et j’en passe, au total deux pickup chargés à ras. Pendant cette chasse moderne aux aliments, une vingtaine de jeunes bras appartenant aux élèves de l’académie des pêches de Sorong chargent à bord le matériel déjà stocké au port. Bidons, cantines, sacs, réserves d’eau douce ont envahi le pont inférieur de l’Airaha dans un joli chaos qui ne manqua pas de m’inquiéter quelque-peu.

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Mais sous la direction du capitaine Samsul Bachri et des sept membres de son équipage, tout ce bric-à-brac commence à s’organiser dans les cales, soutes, chambre froide, espace sous les coursives et pont arrière. En quelques heures, le bateau présente la fière allure d’un navire prêt à prendre le large avec ses cordages arrimant solidement le barda insensé de notre équipée.

Il eut été agréable de partir au soleil couchant qui embrase l’horizon de ses couleurs cuivrés, notre regard perdu vers la côte qui s’éloigne lentement, mais ce romantisme précisément n’était pas au rendez-vous. En réalité, nous partîmes à la nuit tombante bien sonnée sous un crachin que ne renierait pas un marin breton.

Juste avant le départ, le capitaine fit cérémonieusement l’appel, puis une courte prière devant l’ensemble de l’équipage, 34 personnes sur le pont inférieur et presque autant sur le quai. Je dois avouer, pour utiliser un euphémisme de circonstance, que je ne suis pas particulièrement croyant, et je doute de la religiosité militante de mes coreligionnaires. Pourtant un silence recueilli accompagna respectueusement les quelques mots du capitaine. Probablement avons-nous tous les mêmes espérances, une mer clémente, minimiser les problèmes de santé et une expédition riche en découvertes. Je suppose que l’ordre d’apparition des trois souhaits est relatif. Les mains se tendent encore par dessus le bastingage, un pont de fraternité qui lentement se rompt, lorsque les machines se mettent sous pression.

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Jacques resté à quai –mais qui nous précèdera à Kaimana par avion pour accélérer les dernières démarches administratives- échange avec Laurent un regard chargé d’empathie et de complicité. Je peux le comprendre, presqu’une année de préparations intensives et à cet instant le projet devient réalité. Déjà sur le navire, c’est le coup de feu, l’équipage fourmille depuis la salle des machines jusqu’au poste de commandement, alors que les batteries en cuisine annoncent la perspective du premier repas. L’équipe scientifique franco-indonésienne investit les cabines étroites où les bagages personnels encombrent les maigres passages.

Bientôt, le premier repas pris en commun sur le pont arrière à l’abri de la pluie qui bat son plein. Riz au menu, mais quel riz mes amis ! Pour rien au monde nous ne l’échangerions pour d’autres mets, il sent le grand large, les découvertes promises et la franche camaraderie. Lentement, chacun gagne sa couchette, certains leur hamac ou tente plantée sur le pont supérieur. Ma couchette présente fenêtre sur mer, et du hublot, les flots noirs striés de l’écume blanche défilent et au loin l’horizon rejoint les terres forestières de Papouasie. Je m’endors paisiblement. Je ne sais plus à quel moment mes rêves ont rejoint ce que nous vivons à chaque instant.

Réveil instantané au petit matin de ce dimanche 9 octobre.

Tous, à l’exception des locataires des hamacs situés à l’étage supérieur, ont passés une nuit confortable er réparatrice. Petit-déjeuner sur le pont arrière qui sera dorénavant notre lieu commun pour les repas, mais aussi salon de lecture, salle de réunion ouverte aux quatre vents et perchoir de choix pour les pêcheurs invétérés.

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La promiscuité des lieux est un terrain favorable aux échanges entre les différents spécialistes qui échangent autour de leurs objectifs et ceux plus généraux de la mission. Séminaires en short et tong, accoudés à la rambarde, la science en marche. A l’occasion du passage d’une grande frégate, cet oiseau majestueux à la queue fourchue et aux ailes en forme de faux, Christophe improvise une première ‘conférence’ sur les particularités de l’avifaune –la faune en oiseaux- de la Nouvelle-Guinée. [Note de l’auteur –Christophe revoit et corrige à grand trait ma première version du texte suivant]. Globalement le problème est le suivant. On observe tout autour de l’île, dans les zones de basse altitude, différentes espèces de Pigeons, d’Oiseaux du Paradis ou de Perroquets, chacune présentant de larges répartitions mais localement des différences morphologiques plus ou moins prononcées. Les ornithologues ont longtemps pensé que ces variations locales reflétaient un changement progressif de la coloration, de la morphologie, d’une population à l’autre sans conséquence sur la capacité de ces populations à se reproduire entre elles (la définition biologique de l’espèce). Aujourd’hui, de nouvelles hypothèses ont vu le jour grâce à la meilleure compréhension de la géologie de la .Nouvelle-Guinée. Désormais, la question est de savoir, pour chacun de ces groupes, si ce sont des complexes d’espèces étroitement apparentées mais distinctes et inféodées à des régions particulières. Auquel cas, il faudra revoir le nombre d’espèces à la hausse et essayer de comprendre les processus évolutifs qui ont mené à une telle structure de la biodiversité. [Fin du cours, dans la réalité, une bonne heure de discussions]

Durant cette discussion instructive, d’autres profitent de la croisière pour lire articles et ouvrages sur cette terre si peu explorée. D’autres rattrapent le peu de sommeil de cette dernière semaine –notamment les locataires des hamacs- et pour circuler il faut enjamber ou contourner des corps allongés qui occupent presque tous les différents lieux de l’Airaha. Je termine cette chronique du jour sur ma couchette, dans l’ambiance fraîche de la cabine collective, la mer défilant à mes côtés. Demain promis –si le temps autorise une connexion satellite- je vous invite à visiter les lieux et à rencontrer les membres de l’équipe.

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