Par J.-M. Bichain, Philipp Keith et l’aimable collaboration de Bernard Pouyaud
Lundi 11 octobre, 13h00, à bord de l’Airaha dans la baie de Kaimana. Laurent est parti au petit matin pour rencontrer les autorités locales. Nous attendons son retour et le feu vert pour gagner enfin les zones d’étude. L’attente commence à devenir longue. Plus d’une semaine après notre départ de France, des dizaines d’heures de vol, transfert via quatre aéroports différents, deux hôtels, 700 kms de navigation et mouillage depuis 24 heures au large de Kaimana. Absence de vent et soleil de plomb qui transforme les surfaces exposées du bateau en véritables plaques vitrocéramiques.
Lectures, lessives, bricolage, préparation de cartes pour le terrain, essais des téléphones satellites (çà marche aussi), bref, on s’occupe diversement sur les 10 m2 du pont arrière. L’équipage installe, au-dessus du pont inférieur, un toit en bâche qui augmente significativement la surface habitable du navire. Malgré-ce, l’inaction commence à peser.
Je finis par tourner en rond, d’une coursive à l’autre, pour finalement tomber nez-à-nez avec Amos au niveau de la passerelle. Grand sourire de la part du papou géant qui me tâte la cuisse en lâchant un rire à faire trembler le frêle esquif. Pas facile d’échapper à ce gars là. Itan, la collègue indonésienne et écologue, me sauve la mise en proposant de traduire le dialecte d’Amos, le Sukupur. Discussion multi-dialectale du Sukupur, en passant par l’indonésien puis l’anglais, pour finir ici en français.
Exercice pratique, sans pouvoir garantir ni la grammaire ni l’orthographe : Après plusieurs essais, j’arrive à formuler la phrase suivante ‘In nosra nan nieka oudjan anama nan diet i,’ traduction ‘je voudrais venir en forêt avec toi mais, s’il te plait, ne me mange pas’ On va finir par s’entendre. Je quitte Amos pour croiser, sur le pont arrière, l’équipe du Muséum/CNRS composée de Phillip Keith, Philippe Gaucher et Gilles Ségura (cf. photographies ci-dessous de gauche à droite)). Ces chercheurs s’intéressent à un groupe particulier de poissons qui a été peu étudié et dont de nombreuses espèces nouvelles ont été décrites ces 20 dernières années, les Gobies d’eau douce. Présentation succincte de l’équipe : Phillip est un rêveur de gobies, pauvre pêcheur affublé de deux compères au sens de l’humour aiguisé dont Philippe G. à l’œil vif, charmeur de serpents qui grimpe aux arbres pour écouter les grenouilles, plaît aux chauves-souris et Gilles, spécialiste des bases de données ; les habitats de rivières n’ont pas de secret pour lui, il est même capable d’observer des espèces très rares lorsqu’il n’a pas d’appareil photo. Ils participent à l’expédition, car les petites rivières rapides de la région de Kumbawa/ Kaimana, sont peuplées de gobies. Ces petits poissons -dont les mâles sont généralement très colorés de rouge, vert, bleu ou jaune fluo- possèdent un cycle de vie très particulier, adapté aux rivières des îles souvent soumises à des conditions climatiques extrêmes et pauvres en éléments nutritifs. Ces poissons se reproduisent en rivière : à l’éclosion les larves sont entraînées en mer où elles vont rester 3 à 10 mois selon les espèces. Ensuite, elles vont revenir en rivière, où elles vont grossir, remonter le cours d’eau et se reproduire. On dit que les gobies sont diadromes, c’est-à-dire qu’ils passent une partie de leur vie en rivière et une partie en mer.
Lorsqu’ils arrivent à l’embouchure des rivières pour les coloniser, ils se métamorphosent : ils étaient pélagiques et chassaient le plancton en mer avec une bouche à l’extrémité du museau ; ils deviennent benthiques pour vivre sur le fond, leur bouche se transforme et passe en position ventrale, car ils deviendront brouteurs d’algues. Ces poissons possèdent aussi une ventouse qui résulte de la transformation des nageoires pelviennes. Cette ventouse leur permet d’escalader les cascades parfois jusqu’à des altitudes très importantes et de coloniser des milieux où peu d’autres espèces vivent.
Leur phase larvaire marine permet à ces espèces de se disperser et de coloniser des rivières parfois à des milliers de kilomètres de celles qui les ont vus naître. Explications interrompues par le retour de Laurent en début de soirée accompagné de Kadar. Enfin des nouvelles fraîches. Jacques, Laurent et Kadar ont rendu visite à pas moins de six administrations différentes : le service des pêches, le responsable du district, le préfet ou Bubati, les renseignements généraux ou Intel, l’immigration, la police du port et la capitainerie.
L’équipe des Gobies, complétée par Kadar, Christophe (cf. blog du samedi 8 octobre) et un officier des pêches partent demain matin sur Kumbawa, massif situé au Sud de la baie de Kaimana. Quatre jours en autonomie et enfin les premières récoltes de l’expédition.
L’Airaha appareillera demain après-midi avec le reste de l’équipe, direction baie de Triton, à trois heures de navigation vers l’Est. Première dépose des archéologues sur une île au large de la baie, paléontologues et biologistes seront sur leur terrain mercredi matin.
En attendant, nous avons encore le loisir de consulter vos commentaires et mails auxquels nous ne manquons pas de réagir avec enthousiasme (cf. photographie, de gauche à droite : Gilles, Jean, Marc, Bruno, Jacques, Olga). Un vent léger balaye doucement le pont de l’Airaha, le ciel s’enflamme subitement alors que la ville de Kaimana s’enfonce lentement dans la nuit naissante (cf. photographie ci-dessous). Quel jour sommes-nous ? La veille de notre renaissance !
Happy Halloween week end pal.