De l’autre côté

De l’autre côté

Par Jean-Michel Bichain JM.jpg, oct. 2010 Je dois vous confesser une certaine baisse de régime concernant notre assiduité à renseigner ce journal d’expédition. En effet, le rythme est tout de même soutenu et partagé entre le terrain la journée, les prises de notes et le conditionnement des échantillons le soir. Par ailleurs, ces derniers jours les équipes ont été éclatées aux quatre coins du massif.

Ce dimanche 24 octobre, tout le monde est de retour à bord de l’Airaha dont l’équipe qui séjournait au lac Mbuta. Pour Laurent, mission accomplie avec des poissons arc-en-ciel capturés, deux espèces dont une espèce non encore identifiée. Dans les jours qui viennent, ces équipes vous feront un récit sur leurs découvertes.

Pour ma part, un samedi contrasté. Au matin de cette journée fameuse, deux groupes sont sur le départ. Les spéléo-karstologues, Guilhem, Bruno et Hubert, dont l’objectif est de trouver par voie de terre l’émergence de la rivière souterraine au flanc du massif Mbuta. Pour ma part, j’accompagne Gilles et Philipp K. pour des échantillonnages en rivière. Après notre série de repérages, il nous restera du temps pour tenter une remontée d’une certaine rivière depuis son estuaire. Vous imaginez bien de quelle rivière il s’agit ! En effet, nous avons convenu avec l’équipe spéléo de tenter cette double approche afin d’atteindre la source, par voie de terre et par voie d’eau.

Nous prenons la matinée pour réaliser les échantillonnages gobies-hydrobies, qui en passant, se sont montrés bien décevants. Nous mettons donc le cap vers une série d’estuaires qui forme en aval un chevelu au sein d’une immense mangrove et qui fusionne en amont en un seul linéaire qu’il nous faut atteindre.

Nous nous enquillons dans le premier estuaire et remontons la rivière pendant une bonne demi-heure à régime réduit. En effet, même si le cours d’eau est large, il est encombré de végétation dont des arbres couchés en travers. Dans certains cas, le zodiac peut passer au dessus à condition de remonter le moteur, dans d’autres nous passons sous les troncs en nous couchant au fond du bateau. Néanmoins, notre progression est stoppée nette par un barrage végétal infranchissable. Nous tentons notre chance dans un second estuaire situé deux kilomètres plus à l’Est. Retour en mer, navigation le long de la mangrove et on s’enfourne de nouveau dans un linéaire large de plus de 100 mètres à son embouchure. La mangrove qui nous encadre est magnifique et perché à l’avant du zodiac, je ne peux m’empêcher de scruter les abords forestiers à la recherche de crocodiles tapis dans la pénombre.

1_jmb.JPG, oct. 2010 Nous laissons la mangrove derrière nous et les berges commencent à devenir franches, signe que nous sommes désormais dans le lit de la rivière qui est hors de l’influence marine. Nous progressons bon train, deux, trois puis quatre kilomètres. La rivière est magnifique et nous surprenons de nombreux oiseaux dont cacatoès, calaos, martins pêcheurs colorés et un merveilleux pigeon couronné avec son plumage bleu métallique et sa houppe de plumes blanches. La rivière se rétrécie lentement et le courant devient de plus en plus vif alors que les obstacles sont plus fréquents et diversifiés dont des troncs situés juste en dessous de la surface des eaux. Des fougères plantées sur la rive nous caressent de leurs épines recourbées. Ces épines sont de véritables harpons et s’accrochent dans les vêtements manquant de faire basculer Gilles par-dessus bord. Après une bonne heure de navigation, le GPS m’indique que nous sommes à moins de 800 m de la zone visée. Cependant Jacques me rappelle à la réalité. Nous devons retourner à l’Airaha avant la nuit. Il deviendrait trop dangereux de naviguer dans l’obscurité sur cette rivière. Je négocie 10 min de navigation supplémentaire. Accordé, mais cela restera encore insuffisant pour atteindre l’objectif fixé. Nous retournons au bateau base à la nuit tombée, au Nord un orage menace, l’objectif du jour laissé à quelques encablures. Décidemment, après le Lamasieri …

Il ne reste plus qu’à attendre le retour des trois compères. L’orage éclate violemment vers 18h00 et des rideaux de pluie s’abattent sur le bateau. Nos pensées se tournent alors vers les spéléologues qui sont probablement en pleine forêt. Le temps passe et aucune nouvelle, ni des explorateurs, ni de Napo qui est parti à leur rencontre. 20h00 puis 21h00, toujours rien. Je commence sérieusement à m’inquiéter. 22h00, avec Jean le médecin, nous sommes encore deux à être éveillés et nous discutons des différents scénarios possibles expliquant ce retard.

22h30, le bruit de moteur sur le quai. Les voilà ! Trempés, les vêtements dégoulinant et souillés de boue mais le visage souriant. Visiblement la journée a été rude mais couronnée de succès. Un café bouillant dans la main, les trois compères nous font un compte-rendu détaillé de leur belle découverte devant une assemblée tirée de son sommeil. Ils ont trouvé la sortie de la rivière et un réseau souterrain pénétrable qui semble volumineux. Le travail d’exploration et de karstologie va pouvoir commencer sérieusement.

Le programme de ce dimanche sera donc le repos complet pour eux et notamment pour Bruno dont la plaie a macéré et risque de se ré-ouvrir. Pour ma part, je vise encore la possibilité d’atteindre l’émergence par la rivière.

Nous partons de nouveau, avec Bernard aux commandes du zodiac, à contre-courant vers l’objectif de la veille. Grâce aux informations collectées lors de la précédente navigation, nous dépassons prestement le dernier point atteint sur cette rivière. Encore 600 mètres, un petit rapide franchi de belle manière et nous sommes arrêté définitivement par un arbre gigantesque qui barre la progression. Il reste deux cents mètres ! Je débarque machette en main et je me fraye un passage à travers la forêt en longeant la rivière. A peine 15 minutes et j’atteins enfin le point que nous avions visé sur la carte. L’entrée du réseau n’est plus qu’à trois quart d’heure. La voie d’eau permet d’économiser presque 3 heures de marche.

Dès demain, nous repartirons donc en zodiac afin d’équiper, dans cette zone, un camp de base qui permettra d’aller et de venir, en toute facilité vers le réseau souterrain.

Le temps est compté puisque nous partons le 27 octobre pour Kaimana.

Quel jour sommes nous ? Un jour de plus de l’autre côté !

2. Victoire des spéléologues

Par Guilhem Maistre

Il était initialement prévu, ce samedi 23 octobre, un départ pour plusieurs jours en direction de la zone des grosses dolines, puis du lac Mbuta et des pertes de rivières. Tous les porteurs étant déjà mobilisés, il nous aurait fallu partir chargés comme des mules et être relativement inefficaces, ou renoncer au matériel d’exploration, et être tout aussi inefficaces.

Il est donc décidé de repousser ce projet à plus tard et de repartir à la journée sur la piste secondaire explorée la veille, pour atteindre et remonter la rivière supposée être alimentée par les pertes du lac Mbuta. Un transport à moto a été demandé à Napoléon. Nous attendons au centre du village, Napoléon part chercher la moto, nous attendons. Vers 10 h Napoléon apparaît enfin avec la véhicule à deux roues, il avait fallu prendre le temps de réparer le support de feux arrières endommagé la veille.

11h du matin  : après trois navettes motorisées nous sommes enfin au départ du parcours piétonnier.

Au-delà de notre terminus de vendredi la piste est relativement facile à parcourir, mais elle s’encombre rapidement de taillis et de chablis infranchissables. Nous la quittons pour rentrer sous couvert forestier et suivons des traces de sentier papou. Les machettes sont sorties, c’est du matériel de piètre qualité, mais nous les avons bien affutées, et nous faisons avec. La forêt est assez claire, nous taillons moins pour progresser que pour laisser des marques pour le retour.

La rivière est atteinte vers 14 h, elle est imposante, de l’ordre de 15 à 20 mètres cubes par seconde.

1_guilhem.JPG, oct. 2010 Quelques gros troncs reliques du pont de la piste nous permettent de traverser. Une pause pour remplir les gourdes et les camelbacks en pompant avec le filtre à céramique, et c’est reparti. Cette fois-ci nous taillons une trace entièrement nouvelle en rive gauche. Emotion, ce coup-ci on y est vraiment. L’équipe retrouve ses réflexes de jungle. Un devant qui trace, les deux suivants qui finalisent, on se relaie, Hubert note des directions. Nous voyons des gobies dans un tout petit affluent, l’information sera transmise. Après un peu plus d’un kilomètre des petites falaises apparaissent à notre droite. Elles sont perforées de cavités colmatées. Verdict d’Hubert : ancien système fluvio-karstique.

Nous sommes bientôt coincés entre le relief calcaire acéré et la rivière. La végétation basse qui pousse à flanc est inextricable et masque les lames acérées de la roche déchiquetée qui menace de nous faire de même. Après 20 mètres de progression, demi-tour, on va essayer de passer par plus haut. Nous espérons atteindre une crête par un col entre les falaises. Malheureusement arrivés en haut nous sommes stoppés par un lapiaz géant, sorte de bois de Païolive sous l’équateur.

Pas d’autre solution que de longer la rivière, nous reprenons notre trace laborieuse, avec cerise sur le gâteau des plantes urticantes parsemées dans les taillis.

Les derniers cent mètres nous coûtent plus d’une heure de taille intensive. Nous sommes à la source. Une fois de plus l’eau sort entre les rochers, la malédiction nous poursuit.

Bruno remonte un thalweg à sec, il nous appelle. Un effondrement cinquante mètres en amont de la source donne accès à une grotte. On entend un grondement au fond. Après exploration d’une branche latérale étroite et sèche mais ventilée, nous revenons sous l’entrée et atteignons une galerie où l’eau est de plus en plus présente. Nous dérangeons une colonie de petites chauves-souris, elles volent tout autour de nous,

Accompagnées d’une multitude d’insectes attirés par nos Scurion. La rivière est là, majestueuse et impressionnante. Nous nous arrêtons sur un passage dont l’eau occupe toute la largeur, il faudra revenir avec de la corde et du matériel, pas question de s’aventurer dans ce courant sans toutes les précautions de sécurité. 2_guilhem.JPG, oct. 2010 Déjà la brève portion de grotte explorée va fournir de la matière à étudier pour la plupart des disciplines représentées dans l’expédition, sans préjuger de ce que nous explorerons au-delà. Nous tenons enfin un accès pour observer le karst de la plus instructive des façons : par l’intérieur. Après les déceptions du début, nous avons enfin trouvé ce qui nous motive à venir en Papouasie.

Nous ressortons de la grotte à 17 h 30, il nous reste une demi-heure de jour pour franchir le passage difficile dans les rochers.

Un bruit sourd dans la forêt s’amplifie en se rapprochant. La pluie est là, violente. Le déluge nous accompagnera pendant plus de deux heures.

4_guilhem.JPG, oct. 2010 La forêt de nuit sous la pluie tropicale c’est une grosse ambiance. La visibilité est fortement réduite, les lampes Scurion qui équipent nos casques nous sont d’un grand secours. Nous sommes trempés jusqu’aux os, mais il ne fait pas froid, juste une fraicheur agréable. La progression est lente, méthodique, heureusement que l’équipe est soudée et rodée. Quand la trace se fait rare, l’un d’entre nous reste à la dernière marque identifiée et les deux autres rayonnent pour trouver la suivante.

3_guilhem.JPG, oct. 2010 Vers 21 h nous arrivons au carrefour des pistes. Napoléon, héroïque, nous a attendus avec la moto et en a réservé deux autres au hameau du kilomètre 4. Bien fatigués et les pieds macérés, nous lui serons infiniment reconnaissants de nous avoir épargné la piste à pied.

Au bateau le morceau de cerf délicieusement cuisiné que nous avait réservé Sumanta vient couronner cette journée intense, fructueuse et fatigante.

Une réflexion au sujet de « De l’autre côté »

  1. Bravo à ces coriaces de spéléo!!! Apparemment rien ne leur fait peur! Voilà enfin de quoi topoter et faire de la première – ca changera du calcul de débits (tu me montreras ça Hubert) et de trajectoires!
    Quant à nous, demain à Bordeaux y’a une conférence (23eme RST) sur : « Nouveaux éléments de compréhension sur la formation du prisme de Lengguru (Wandamen Papouasie Occidentale) » de De Sigoyer Julia, François Camille, Pubellier Manuel, Bailly Vivien & Ringenbach Jean-Claude.

    Bon courage à toute l’équipe de l’expédition!! C’est un plaisir à vous lire quotidiennement.

    A bientôt, en attendant la suite des aventures des spéléo!

    Bastien.

Les commentaires sont fermés.