Le Sacerdoce de Gigih

Note du Webmaster : En raison de mon indisponibilité non prévue hier, il y a eu 2 mises à jours aujourd’hui.

Jean-François

Vendredi 12 novembre 2010

Le Sacerdoce de Gigih

Par Olga Otero olga.jpg, nov. 2010 Pour commencer, je voulais dire que nous sommes plusieurs à lire attentivement vos commentaires sur le blog, même si vos questions passent souvent un peu à la trappe… en fait, on ne pense plus le soir à ce qu’on a lu la veille ! Mais l’insistance devant bien finir par payer, D’Jack cette fois-ci tu vas savoir comment on ramène les poissons, et pourquoi, et même comment on les pêche. Effectivement à la lecture des commentaires d’hier soir, j’ai décidé de doubler ma journée de terrain dans l’ancien d’une discrète enquête sur les pratiques obscures (mais pas pour longtemps) de mes congénères de l’actuel : les icthyologues (on pourrait même dire néonicthyologistes par opposition à paléoichtyologue !).

Alors, voilà ce que j’ai découvert :

Gigih est en charge du maintient en vie de poissons échantillonnés dans les cours d’eau. Photo0.jpg, nov. 2010 Tous les taxons n’ont pas droit à ces égards, seuls le sont les représentants des espèces, souvent nouvelles, qui peuvent s’avérer intéressantes pour l’aquariophilie (ou plus généralement économiquement). L’objectif est de conserver la diversité naturelle des cours d’eau en produisant des spécimens domestiqués et éviter ainsi des razzias dans leurs habitats et risquer la disparition d’une diversité à peine connue. Cette domestication aura lieu au centre de recherche des poissons d’aquarium de Depok, dans le cadre des travaux de développés en coopération avec l’IRD. Ici, ce sont surtout les rainbows mais aussi quelques autres poissons comme ces petits Tetraodon de mangrove qui sont concernés. Photo1.jpg, nov. 2010 Au moment de la pêche, il faut donc s’assurer de collecter assez d’individus mâles et femelles puis tout mettre en œuvre pour les maintenir en vie non seulement jusqu’au bateau, mais aussi jusqu’à Jakarta. Les individus pêchés sont mis dans de l’eau de leur cours d’eau d’origine dans des sacs plastiques (façon fête foraine géante). Photo2.jpg, nov. 2010 Il est important de les laisser dans cette eau là et cela même après l’arrivée sur le bateau. En revanche il faut maintenir son niveau d’oxygénation. Régulièrement Gigih inspecte les sacs à poissons qui sont alignés dans un coin à l’ombre sur le bateau. Photo3.jpg, nov. 2010 Il vérifie le niveau d’oxygénation de l’eau et l’état des poissons. Régulièrement il renouvelle l’oxygène grâce à un bulleur (lui aussi géant ) : une bombonne d’oxygène. Photo4.jpg, nov. 2010 Au retour, une fois que nous abandonnerons le bateau à Sorong. Ils prendront le même avion que nous, dans de grandes caisses de polystyrène vers Djakarta. Puis une camionnette viendra les chercher avant qu’ils trouvent leur nouveau bassin d’adaptation. Alors une autre histoire démarre : la domestication…

En attendant de savoir si tous arriverons à bon port à Depok, je vous laisse lire comment se déroulent les pêches scientifiques que nous effectuons ici : de la conception à la fameuse mise en sac des spécimens à domestiquer et au conditionnement du reste du matériel d’étude, TOUT cela sous le clavier de Domenico.

Olga Otero, assise sur une caisse en bois sur le pont arrière du Airaha II.

Une journée de pêche scientifique

Par Domenico Caruso

Caruso.jpg, nov. 2010 Les pêches scientifiques ont deux objectifs : connaitre et quantifier la ressource. Les méthodes d’échantillonnage et de pêche varient en fonction de ces objectifs. Des engins sélectifs proches à ceux de la pêche professionnelle (filets maillant, chalut) sont utilisés mais ces méthodes sont utilisées plutôt dans les campagnes océanographiques ou dans les très grands fleuves ou lacs. Les mesures, associées à la quantification des produits débarqués par les bateaux de pêche et à l’utilisation des modèles mathématiques qui intègrent d’autres paramètres biologiques tels que l’âge à la reproduction, le taux de mortalité naturelle, permettent de déterminer les stocks de poissons. Ces mesures sont essentielles pour déterminer la richesse (en poissons) d’une zone donnée, et elles permettent entre autre d’estimer la quantité de poissons qu’il est possible de pêcher sans affecter la ressource (les fameux quotas). Evidemment, cette mesure est une estimation et elle fait l’objet de grandes controverses. Bon, ce ne pas de tout ce que nous faisons. Notre objectif est de déterminer la diversité biologique des espèces de poissons dans la région. Par le passé, l’utilisation de substances ichtyo-toxiques comme la roténone, ou les « nivrées » extraites de différentes plantes, permettaient un échantillonnage rapide de tronçon de rivière ou des mares. Ces pratiques ne sont plus utilisées, car elles ne sont pas sélectives et un peu trop « radicales », il est donc important de varier les engins de pêche pour permettre de capturer le plus grand nombre d’espèces.

Comme vous le savez déjà, dans cette mission nous visons deux taxons en particulier : les rainbows et les gobies. Ces deux types de poisson privilégient respectivement deux habitats bien différents, ce qui modifie le choix des engins d’échantillonnage. Dans le cadre de la mission Lengguru nous utilisons essentiellement l’épervier, un petit filet senne, des épuisettes de dimension variées et parfois la pêche électrique. Une pêche scientifique du genre de celle que nous pratiquons ici, se prépare bien évidemment à l’avance ; et la première chose à faire est de décider quelle rivière sera échantillonnée. Ici, il y a foison de rivières, Photo5.jpg, nov. 2010 cours d’eau avec cascades ou sans, lacs, marigots, etc., etc., qui peuvent tous cacher des petits trésors à écailles ; Photo6.jpg, nov. 2010 mais il serait impossible de tout voir. Pour le choix d’un cours d’eau on hypothèse la présence des rainbows ou des gobies sur la base de la morphologie du bassin versant, le type de fond, la taille de la rivière et puis évidemment on confie sur un peu de chance, comme toujours nécessaire pour toute pêche. Donc une fois la rivière choisie et tout le matériel pour l’échantillonnage embarqué sur la pirogue ou le zodiac, on file le plus vite possible dans notre cours d’eau. Evidemment ce départ ne s’effectue qu’après obtentions des autorisations du village en charge du territoire à explorer. La plupart du temps, cette démarche s’accomplie dans la bonne humeur et souvent des villageois nous accompagnent en rigolant un peu de nos questions sur les ikan kecil (petits poissons). Arrivés à la rivière, et cela peut demander plusieurs heures de marche, nous rechercherons les gobies ou les rainbows à vue. Parfois il est même nécessaire de se jeter à l’eau avec ou sans masque Photo7.jpg, nov. 2010 pour mieux explorer et voir sous les pierres si les poissons n’y sont pas cachés. Une fois les poissons localisés, on choisi l’engin de pêche qui nous semble le mieux adapté ! Photo8.jpg, nov. 2010 A l’excitation de la capture suit le plaisir de la découverte et les questionnements (quelle espèce ? je ne la connais pas, elle ressemble à cela etc. etc.). Nous nous passons le sac plastique dans lequel nous les recueillons pour en admirer les couleurs, la forme (tout ça sous le regard amusé de nos accompagnateurs locaux qui ont un peu de mal à comprendre notre excitation ; mais enfin ils y participent également et ils nous filent toujours de sacrés coups de main pour la pêche). La pêche réalisée, les photos d’environnement et les prélèvements d’eau effectués, nous remplissons les sacs en faisant attention de ne pas mettre trop de poissons dans chaque sac. C’est pour cela que la marche de retour est souvent pénible car le nombre de sacs augmente en fonction du succès de la journée et le poids sur les épaules aussi !! Le retour est toujours un peu angoissant car on veut que tous les poissons arrivent à la base en bon état. L’oxygène est un facteur important et parfois on utilise une méthode inspiré des pratiques des aquaculteurs indonésiens. Avant de partir, on gonfle des sacs à l’oxygène et puis avec un tuyau on rajoute ce gaz dans l’eau du sac contenant des poissons. Cependant le stress de la capture, la chaleur et les mouvements dus au transport ont parfois raison de nos efforts. La journée n’est pas finie et tout de suite rentrés, il faut retirer les morts et les fixer, et gonfler les sacs des vivants d’oxygène. Puis on passe à l’autre travail de documentation scientifique à savoir les photographies et la préparation des échantillons de collection (prélèvement de tissus pour analyse génétique dans l’alcool et fixations des spécimens dans le formol).

Par Domenico Caruso

2 réflexions au sujet de « Le Sacerdoce de Gigih »

  1. Merci Olga de répondre à nos questions et nous faire participer encore un peu plus à la compréhension de l’Aventure.
    Merci aussi à Domenico pour sa vulgarisation claire, nette et précise de l’action, qui il faut l’admettre, vue d’ici n’est pas évidente. On sait que c’est vachement important, on se doute que votre boulot est pas facile facile, On est excité un max par vos récits aventuriers. Et on veut en savoir toujours plus…. Fichtre que le lecteur est exigeant !
    Gigih à une grosse responsabilité, donnez lui le bonjour de ma part, même s’il ne me connait pas …
    Un ch’ti absolument passionné qui vous envoie une baise à vouzottes tertouss.
    D’Jack

  2. Bonjour à tous,
    juste : merci de nous faire partager cette aventure avec vous. On vous suit depuis un bout de temps et… j’adore voyager avec vous!! ça donne des envie de large……
    Portez-vous bien! bon vent.
    Pensée particulière pour Jean Chevallard!

    Audrey

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